Les roses du Veuf – Claire Lota (2021)

C’est en s’appuyant sur les prémisses d’une révolution agricole et culturelle que l’autrice, Claire Lota, a bâti un roman d’amour fou, de haine et de vengeance. C’est aussi le roman terroir d’une enfance à contre-courant et ses répercutions. C’est le récit d’une lutte contre soi-même pour gagner l’estime de sa communauté, payer la dette morale de l’amitié et conquérir l’élue de son cœur.

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Avant les tracteurs, il y avait les bœufs. Derrière les bœufs, les enfants et la misère intellectuelle. Mais je n’aimais pas labourer, la terre me rebutait. Je préférais lire et m’isoler.

Je suis Simon, un gringalet, le fils unique d’un laboureur à bœufs et j’ai neuf ans. Mon père m’oblige à travailler la terre. J’y vais en rechignant. À la ferme, on dit que la lecture fabrique des paresseux et des bouches inutiles. Les livres sont interdits et je me cache pour lire. J’encaisse les corrections et les semonces. À l’école aussi, je casse les codes. Dans la cour, j’endure les réprimandes.

Je suis Simon, j’ai dix-huit ans, j’ai quitté la ferme et mon enfance avec deux addictions : la lecture et la boisson. Je mène une vie de reclus dans les bois. On dit de moi pis que pendre. Les filles m’évitent car elles écoutent les ragots. On dit aussi que je pue et que les enfants me jettent des pierres. Mais c’est entièrement faux. Je me reconnais mal dans cette communauté rurale où le travail manuel tient le haut du pavé.

Je suis Simon l’intellectuel, le caillou dans les lentilles. Je rêve d’une bibliothèque pour tous au village. Ai-je eu raison de caresser ce projet dans une ruralité éloignée où les hommes sont jugés à leurs muscles, où les femmes se nourrissent de commérages, où la jalousie tient lieu de viatique? Ai-je eu raison de ne pas plier sous le joug de mon père? Raison de miser tous mes jetons sur l’amitiéet la confiance de Rosaline, l’institutrice?

Dans ma campagne profonde, la haine et l’amour sont sans limites, les drames et le burlesque s’entremêlent. Même morte, l’institutrice déchaîne les passions. Les roses sur sa tombe n’ont jamais été aussi belles. Jamais, à ma connaissance, des roses rouges n’ont autant fait parler d’elles.

La mort de Rosaline m’a démoli. Mon pote viticulteur m’aide à tenir le coup avec ses verres de vin, en veux-tu en voilà. Je ne suis pas beau à voir. Lui aussi, il est sonné et lui aussi noie son chagrin dans son vin. Il n’en démord pas et accuse le Veuf de n’être pas tout blanc. De mon point de vue, c’est la jalousie qui l’habite. Il doute des larmes du Veuf et n’a de cesse que l’obliger à rendre gorge.

Moi, je pense qu’il se trompe. Je porte le Veuf en haute estime car je lui dois une vie. Je le défends contre tous. Je respecte ses larmes et je voudrais l’aider. Mais il me repousse, il me refuse sa porte. Ce faisant, je m’interroge : Mon voisin ombrageux est-il aussi dévasté que je le crois?

Les roses du Veuf – Claire Lota (2021)

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